De loin, on dirait une sorte de cage à écureuil bardée d'un feuillage épars. Là, tout au fond du practice qui sert à chauffer les muscles avant d'affronter l'Albatros se niche pourtant bien plus qu'un simple amas de déchets verts. Juste à côté de l'antre des greenkeepers, c'est un véritable potager en permaculture qui a récemment vu le jour. Des graines de courges ont germé et grimpent sur une structure faite de bric et de broc. Là, quelques pieds de tomates, ici du basilic, au fond des melons. Et sous une serre artisanale, quelques petits pois, des salades... Le tout posé sur un tas de compost issu des déchets verts produits en masse par le golf. L'auteur de cet endroit atypique ? Un ex-prof de ski que le réchauffement climatique, quelques blessures et un attrait certain pour le golf et son environnement ont poussé là.
Arthur Lecomte n'était qu'un jardinier parmi les autres au Golf National. Mais depuis quelques années, ce bonhomme souriant de 36 ans a pris de l'envergure. Son titre ? Responsable du paysage et de l'environnement au sein du fleuron fédéral. Derrière la carte de visite un brin pompeuse se cache pourtant l'un des rôles les plus essentiels des années qui arrivent : celui de médiateur entre le sport et son environnement. « Au golf, on est sans arrêt en train de retravailler, d'embellir, de mettre à notre image la nature, explique Arthur Lecomte. On la présente d'une certaine façon. Pour continuer de la préserver, il y a des pratiques incontournables. Ce n'est pas une mission facile d'être accueillant, fonctionnel, de répondre au cahier des charges sportif du golf tout en étant propice au développement de toutes les espèces qui vivent sur le site. » Donc non, son rôle ne se cantonne pas à ce potager un brin sauvage. Il n'en représente même qu'une infime partie et c'est en filant sur le parcours qu'on prend la mesure de cette mission gargantuesque.
Les sanctuaires verts
Premier arrêt près du green du 13 sur le tracé de l'open de France. Un golfeur tente de trouver le meilleur point pour dropper sa balle engloutie par l'étang. Il ne remarque même pas l'envol d'un oiseau un peu particulier juste devant lui. « C'est le martin-pêcheur qui niche ici, identifie immédiatement Arthur en souriant. C'est important d'avoir une sensibilité, une qualité d'observation, une curiosité. Même si on est concentré sur son jeu, la meilleure façon de protéger l'écosystème d'un golf, c'est de l'observer, de s'en imprégner. »
D'ailleurs, cette vaste zone qui semble en friche à gauche du green du 13 est en fait un terrain d'une richesse folle. C'est même l'un des secteurs à forts enjeux de biodiversité identifiés par les équipes de terrain. « Le fait de préserver ces zones en les entretenant vraiment de façon très légère, voire pas du tout, permet à des espèces comme le martin-pêcheur d'y revenir et d'y nicher sans problème, explique Arthur Lecomte. C'est un lieu vraiment privilégié, car on y retrouve d'anciens chênes datant de l'époque du domaine de Versailles, mais aussi quantité d'espèces comme le hibou grand-duc qui s'y reproduit. » Un véritable sanctuaire vert clairement identifié comme tel pour les golfeurs de passage. « Tout est réuni à cet endroit précis, poursuit Arthur Lecomte. La richesse est tout autant dans la faune que la flore, tant en l'air que dans l'eau. On retrouve même des sortes de moules au fond de cet étang ! »
Le Muséum au golf
Ces zones à forts enjeux pour la biodiversité sont nombreuses sur le territoire global du Golf National. Leur identification est le fruit d'un travail commun entre les équipes de terrain du parcours et celles du Muséum national d'Histoire naturelle. Lancé en juillet 2016, le programme d'étude de la biodiversité sur les golfs a comme premier objectif d'évaluer les enjeux de la diversité biologique sur les parcours. Le but ? Développer et déployer une multitude d'outils en faveur de la préservation et de la valorisation de ce patrimoine naturel. « On recherche des interactions pour définir de bonnes pratiques d'entretien des parcours à travers ces échanges, précise le responsable du paysage et de l'environnement. La vocation première, c'était d'apprendre pour travailler peut-être différemment et surtout de concert avec la nature. C'était une volonté vraiment visionnaire de Jean-Lou Charron (le président de la FFGolf) qui porte ses fruits aujourd'hui. »
S'émerveiller pour mieux protéger
De passage dans sa voiturette d'entretien, Hugo Senlis, chef d'équipe sur l'Albatros, n'a pas été difficile à convaincre de l'intérêt de ces études : « On avait déjà des pratiques liées au développement durable il y a vingt ans sans savoir qu'on était dans cette notion. La vraie différence aujourd'hui est qu'on travaille pleinement l'entretien dans cette direction-là. On y investit des moyens tant humains que financiers. On y passe du temps, on réfléchit toutes nos actions de concert avec Arthur et le Muséum. » Voilà pourquoi de nombreuses zones à travers le domaine ne sont que très rarement tondues. D'abord parce qu'elles sont esthétiques, mais surtout parce qu'elles accueillent une biodiversité florissante. « Toute l'équipe est vraiment sensibilisée à la question. On cherche bien sûr les meilleurs endroits pour implanter ces zones sans pénaliser le jeu. Mais c'est vraiment agréable de voir certains golfeurs s'émerveiller devant un animal, une fleur, ou un oiseau présent sur le golf. »
L'émerveillement. Voilà sans aucun doute l'un des aspects fondamentaux dans cette recherche de protection de la biodiversité sur les golfs. « Mine de rien, lors d'une partie, on observe énormément de choses sans s'en rendre compte, détaille Arthur. On peut s'émerveiller de certains paysages, de certaines plantes, des animaux ou insectes qu'on peut y croiser. Et s'émerveiller, c'est déjà une première forme d'action pour protéger l'écosystème. C'est en gardant ce contact avec la nature qu'on prend conscience des choses à protéger. »
Éviter, réduire ou compenser
Ultime arrêt derrière le green du 7 de l'Albatros. Là où la Ryder Cup de 2018 a laissé quelques profonds stigmates. Car il n'est pas toujours évident de concilier intérêts environnementaux et exigences logistiques, surtout pour une telle épreuve. « Il y avait tellement de monde et un cadre "réceptif" d'une ampleur tellement gigantesque que ça a pu se faire au détriment de certains aspects écologiques du site, admet Arthur Lecomte. Pourtant, pendant tout le projet de la Ryder Cup, on a constamment cherché à éviter, à réduire ou à compenser. À chaque fois qu'on a eu une action négative, pour installer une tribune, pour poser un écran géant, à chaque fois qu'il a fallu entamer des actions de débroussaillages, d'abattages ou autres, on a toujours réfléchi à la meilleure façon de procéder. »
Et le responsable du paysage et de l'environnement de pointer du doigt la vingtaine d'arbustes en cours de croissance à l'endroit même où une immense tribune se tenait quelques années plus tôt. « Ce n'est pas toujours évident de concilier la biodiversité et une activité commerciale. Mais l'idée n'est pas d'opposer les forces. Même si parfois ils ne vont pas dans les mêmes directions, ces deux mondes ne pas inconciliables, loin de là. » Une étude du Muséum national d'Histoire naturelle est même en cours pour mesurer la résilience des espèces à un tel événement. Et aussi étonnant que cela puisse paraître, la Ryder Cup n'a pas fait office d'Attila de la biodiversité : « La grenouille rainette qu'on n'avait jamais inventoriée ici s'est par exemple implantée au Golf National après la Ryder Cup », s'étonne presque Arthur Lecomte.
Mine de rien, pas moins de 700 espèces différentes ont été recensées sur le site de Guyancourt. Et l'homme est bien l'une d'entre elles. Lui seul a la capacité de modifier son milieu et surtout de prendre en considération la présence de toute la richesse de la nature qui l'entoure. « Si on ne prend pas garde à la biodiversité présente sur un golf et qu'on poursuit un entretien sans faire attention à ce sujet, on va vite appauvrir le site, abonde Arthur Lecomte. Ce n'est pas nécessairement par de mauvaises pratiques qu'on en arrive là, mais plus par ignorance. D'où l'importance d'améliorer les connaissances des acteurs principaux de ces terrains. » D'où l'importance surtout de mettre en avant le travail remarquable des hommes de l'ombre comme Arthur Lecomte, ces gardiens du vert au sens le plus pur du terme.
Retrouvez l'intégralité de ce reportage exclusif dans le n°157 de Journal du Golf, disponible aussi en liseuse en ligne par ici !